Trinity: Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser au tatouage? Vous rappelez-vous du premier tatouage que vous avez vu et quelle fut votre réaction?
Damian: À 17 ans, je me suis enrôlé dans la marine où le tatouage était une tradition. Voulant l’essayer, je me suis fait tatouer une tête de loup sur l’épaule parce que je faisais partie de la Tactique des meutes (Wolfpack), ceux qui chassaient des sous-marins nucléaires russes durant la guerre froide.
T: Parlez-nous un peu de l’histoire de tattoos.com. Quand avez-vous démarré le site? Quelle était l’inspiration derrière sa création?
D: Je l’ai démarré en septembre 1995. Je connaissais quelques artistes tatoueurs locaux à Toronto et nous avons commencé à créer des sites web pour leurs studios. Tattoos.com semblait être un nom approprié pour un site web qui héberge des œuvres de tatoueurs professionnels.
T: Quelle influence désiriez-vous exercer, tant sur la communauté artistique que sur les collectionneurs, avec tattoos.com? Croyez-vous avoir atteint votre objectif?
D: Au milieu des années 90, il y avait peu d’informations sur internet, et encore moins sur le tatouage. Mon ex, une artiste qui aspirait à faire carrière dans le tatouage, et moi avons assisté à des congrès aux États-Unis pendant quelques années et nous avions de nombreuses photos du travail de différents artistes américains et canadiens. Nous les numérisions manuellement sur un numériseur à plat pour les afficher sur internet. C’était un travail long et fastidieux, mais les gens prirent soudainement plaisir à les regarder sur Tattoos.com et les organisateurs de congrès commencèrent à nous inviter à nous joindre à eux pour ensuite publier des photos de leurs expositions sur notre site. Des gens, tels que Paul Booth et Guy Aitchison, tatouaient de grandes œuvres audacieuses et personnalisées, créant essentiellement de nouveaux genres directement devant nous. Ces œuvres étaient une source d’inspiration pour les artistes et les collectionneurs et cela nous fit réaliser qu’avec ce qui était à l’époque le « world wide web », nous avions la possibilité de partager cette renaissance dans l’art du tatouage. Ainsi, continuer de faire valoir ces productions artistiques inédites au monde entier est devenu un objectif en soi et se poursuit encore aujourd’hui.
T: Quelle est l’inspiration derrière la création du congrès NIX?
D: Assister à des congrès internationaux aux États-Unis, à Amsterdam et à d’autres endroits m’a beaucoup inspiré. Dan Allaston, de New Moon Tattoo, avait produit les expositions internationales à Montréal en 1993 et 1994. Comme j’avais commencé à héberger des sites web pour lui et d’autres artistes, tels que Jaime Izumi, de Tora Tattoo et à connaître plusieurs autres artistes canadiens et internationaux de renom, créer une exposition internationale au Canada me semblait une progression naturelle. Ainsi, sans aucune expérience, j’ai sauté tête première dans le projet et, comme on dit, le reste appartient à l’histoire.
T: Comment était-ce de mettre sur pied le premier congrès NIX? Avez-vous eu à surmonter des obstacles imprévus? Et quelle est la plus grande leçon que vous avez retirée de l’expérience?
D: C’était fantastique. Même si nous ne savions pas ce que nous faisions, toutes sortes d’artistes célèbres de tous les coins du monde sont venus et ont passé de bons moments. Je n’ai pas vraiment fait d’argent, mais les artistes ont eu du plaisir et ont appris à se connaître. Certains artistes y participent encore, dix-huit ans plus tard. En fait, un groupe d’artistes canadiens et internationaux très liés continue de croître au fil des années.
T: Comment choisissez-vous vos artistes lorsque vous planifiez le prochain NIX?
D: Nous avons appris à connaître de nombreux artistes qui viennent depuis longtemps. Devenus des amis, ils participent aussi souvent qu’ils le peuvent. Nous pouvons choisir parmi un grand nombre de tatoueurs. Lorsque de nouveaux artistes demandent de participer, nous regardons toujours leurs cartons à dessins afin de nous assurer qu’ils sont sérieux.
T: Qui sont vos invités préférés jusqu’à maintenant? Et quels artistes aimeriez-vous accueillir à l’avenir parmi ceux qui n’ont pas encore participé?
D: Certains des artistes qui sont là depuis le début sont devenus ce que je considère être de bons amis et j’ai voyagé avec eux autour du monde pour assister à d’autres congrès ou ce sont eux qui m’ont accompagné à d’autres expositions que je produis. Kurt Wiscombe, de Winnipeg, l’artiste qui a tatoué tout mon bras droit est venu à mes congrès de Montréal et a voyagé avec moi à Beijing. Dan Allaston, d’Ottawa et moi sommes allés à une exposition à Beijing ainsi qu’à celles d’Ottawa, de Cape Town et de l’Afrique du Sud. Paul Booth a assisté à ma toute première exposition et nous avons participé à des expositions en Chine, à Taïwan, en Afrique du Sud et en Australie. Nous avons même visité Rio de Janeiro ensemble. Cette année, nous avons finalement réussi à convaincre Filip et Titine Leu ainsi que TinTin, de Paris, de venir à l’exposition de Toronto et de nous aider avec l’exposition d’art corporel Art Fusion au Musée Royal de l’Ontario. Professionnellement, ce fut un honneur pour moi. Il y a tellement d’excellents artistes qui émergent de l’Europe orientale et des anciens pays du bloc soviétique. Des gens comme Robert Zyla, qui aurait aimé venir cette année, mais qui n’a pas pu en raison d’un conflit d’horaire. Son travail est incroyable et j’espère qu’il pourra se libérer l’an prochain. J’ai eu le plaisir de passer du temps avec Victor Chill, un artiste mexicain, à Barcelone et il m’a dit vouloir venir à Toronto, si son horaire lui permettait de se libérer. Si je nommais tous les artistes talentueux qui pourraient convenir, ma liste s’éterniserait.
T: Quelle expérience espérez-vous que les artistes et les collectionneurs retiennent après avoir assisté à NIX? Qu’est-ce qui différencie NIX des autres congrès?
D: Je reçois des commentaires élogieux à propos de l’absence de comportements arrogants à mes expositions. Tous s’amusent et aiment interagir avec les collectionneurs et les fans. Parce que l’exposition se situe au centre d’une ville aussi multiculturelle que Toronto et qu’elle a lieu en début d’été, les artistes et les fans en profitent pour faire toutes sortes d’activités intéressantes. Les festivals de musique, les marchés, les magasins et le nombre incalculable de restaurants de diverses spécialités culinaires incitent les artistes à arriver plus tôt ou à partir plus tard pour en profiter. Toronto regorge d’artistes talentueux qui sont prêts à accueillir des confrères étrangers à leur studio en tant que tatoueurs invités. J’ai aussi maintes fois vu des liens d’amitié se créer entre les artistes locaux et les artistes provenant de l’extérieur de la ville.
T: D’après vous, quelles sont les qualités d’un grand tatoueur?
D: Tous les meilleurs tatoueurs que je connais sont passionnés de leur art. Ils ne sont pas paresseux. Il n’y a aucun code secret pour faire partie du cercle intime. Les gens qui travaillent fort et qui n’arrêtent jamais d’apprendre sont, d’après moi, les meilleurs artistes. Leur vie tourne purement autour de leur art et ils ont un désir intense de s’améliorer. Au fil des années, j’ai remarqué que ces artistes gravitent naturellement les uns vers les autres.
T: Certains artistes préfèrent travailler uniquement de leur studio plutôt que de participer à des congrès. Pourquoi pensez-vous? Pourquoi les congrès sont-ils importants à la communauté?
D: Je peux comprendre pourquoi un artiste préfère travailler dans son studio plutôt qu’à un congrès. Comme un mécanicien préfère travailler dans son garage plutôt que sur le bord d’une route. Souvent, les artistes ne font qu’atteindre le seuil de la rentabilité lors des expositions et même perdent de l’argent. La raison pour laquelle ils y participent est l’échange d’informations et la camaraderie qu’ils en retirent. C’est difficile de tatouer toute la journée pour ensuite, aller souper et veiller tard avec des amis et tout recommencer tôt le lendemain. Cela devient exténuant à la longue. Malgré cela, la plupart des artistes gardent d’inoubliables souvenirs d’avoir participé à une exposition. J’ai fait de la plongée avec de grands requins blancs sur la côte africaine, escaladé la Grande Muraille de Chine et assisté à des barbecues surplombant l’océan de l’Australie du Sud avec des douzaines d’artistes et j’ai bu avec Bob Tyrrell à peu près partout sur la terre sauf en Antarctique.
T: À quoi ressemble le milieu du tatouage à Toronto? Comment se compare-t-il au reste du Canada et ailleurs?
D: Le milieu du tatouage à Toronto est plein de vitalité. Comme dans toute communauté, on y retrouve les mêmes romans-savons qu’ailleurs : un artiste n’en aime pas un autre ou une ex-copine de l’un est maintenant avec un autre. Cela dit, samedi dernier j’ai assisté à une vente aux enchères caritative organisée par Seven Crowns Tattoo où des tatoueurs de la région du Grand Toronto ont contribué leur temps et offert des œuvres originales pour amasser 11 000 $ en soutien à Art in the City, un programme caritatif parascolaire financé par des fonds privés qui enseigne l’art à des enfants de quartiers défavorisés et dont les parents ne peuvent leur payer un service de garde privé. Voir la communauté d’artistes tatoueurs se rassembler pour soutenir ce genre de programmes en dit long sur les enjeux qui leur tiennent à cœur. Le milieu du tatouage a évolué de façon très positive et à une cadence ultrarapide depuis les vingt années que je le fréquente. Je suis certain qu’il continuera d’évoluer au fur et à mesure que les anciens stéréotypes négatifs à propos du tatouage se dissiperont. Quant à l’extérieur du Canada, l’engouement pour le tatouage gagne de plus en plus de popularité dans des endroits, comme la Chine, comparés aux pays occidentaux.